TRIBUNE LIBRE Il est temps de prendre en main notre destin

C ela étant, je ne peux m »em- pêcher de lever le voile sur le congrès des élus dépar- tementaux et régionaux qui s »est tenu les 26 et 27 juin dernier, reflet de l »irréalismede la classe politique, le quinzième du genre. Bien qu »il ait été organisé dans le cadre de la réforme constitution- nelle portant sur la différenciation des régions. Encore un nouvel habillement de la part du pouvoir qui pare la départementalisation d »un nouveau vêtement. Au fait, dans le subconscient du Guadeloupéen meurtri par quatre siècles d »oppression ne prédomi- nera point l »idée d »une action de l »Etat pouvant assouplir sa main- mise sur les peuples d »outre-mer. Mais, il se pourrait que dans un sur- saut de lucidité, n’eût été l »indéci- sion fait marquant de l »immobilisme de nos élus, le courage politique aidant, les choses selon toute vrai- semblance eussent été autrement. Comment en effet ne pas fustiger à juste titre l »attitude d »une classe politique qui baigne relativement dans l »intellectualisme à l’ère du numérique, mais incapable par ail- leurs de s »affranchir d »une servilité qui n »ose pas dire son nom, apanage de notre passé historique ? A pro- pos du congrès, c »est un coup d’épée dans l »eau. Rien de bien nouveau. Deux inter- ventions différant radicalement de celles du commun des assimilation- nistes : celle du CIPPA préconisant un statut de type PTOM comme à Saint-Barth, et celle de notre Secrétaire général Félix Flémin sou- lignant la nécessité impérative de notre érection en un territoire auto- nome incluant le principe d »une souveraineté ; puisque dès sa créa- tion en 1958 cette revendication fut son principal mot d »ordre. A part cela Pierre-Yves Chicot a soulevé l »enthousiasme de l »auditoire à la faveur de son discours juridico-cul- turel. Ces dites interventions empreintes de franchise et de la plus rigoureuse objectivité ont eu entre autre mérite de conférer une tonalité différente à ce congrès. Ce qui retient notre attention c »est que les assimilationnistes de droite ou de gauche indifféremment ont été unanimes à abonder dans le sens d »une évolution institutionnelle sans incidence fondamentale sur le présent statut. Leurs exposés -du moins ceux qu »il m »a été loisible d »entendre- ont eu lieu en termes évasifs pour la plupart, en évacuant systématiquement, en prenant grand soin de ne prononcer le mot d »évolution statutaire, ce, comme si ils marcheraient sur des charbons ardents. Aucun d »autre eux, n »a eu le courage d »exposer les probléma- tiques concernant l »existence du peuple guadeloupéen et son droit à l »auto-détermination. Revendication qui ne tombe pas bien entendu dans le champ de la continuité et qui les dérange ! Et de fait on se rend parfaitement compte que les mobiles qui les ani- maient -sécurité matérielle oblige- étaient en réalité sans commune mesure avec les inters réels du pays, avec les intérêts du peuple travail- leur ; ceci sans considération d »une vision prospective, s »agissant de notre devenir quant à une dispari- tion éventuelle de notre peuple. Et ici je m »interroge. Il est indéniable qu »au plan strict de l »éducation nous avons fait des progrès significatifs. L »augmen- tation quantitative des diplômes le prouve amplement. Mais l »on est contraint en dépit de cette progression spectaculaire de conclure au paradoxe de l’instruc- tion. Et pour cause. L »Etat colonial n »est pas dupe. La France s »at- tache en effet à fabriquer outre- mer des diplômés pour les besoins de sa politique, dans le but évident de, se pourvoir a pos- teriori dans nos pays, d »alliés, de défenseurs du régime, de compa- triotes pouvant se prévaloir d »un statut social enviable. Dans ces conditions le système colonial ne saurait avoir de fin ; puisqu »il est cautionné, encouragé, fortifié par ceux là-mêmes qui devraient normalement le dénon- cer : les néo-colonisés qui ne croient plus être colonisés ! Le phénomène revêt une acuité particulière chez les élus. Ce que nous déplorons c »est une soumission aveugle de nos responsables politiques au pouvoir central. Leur inféodation tous confondus au gouvernement appa- rait comme une fatalité. Innovation du siècle ! Il y a chez eux comme une inclination consensuelle à refu- ser de mettre l »homme guadelou- péen vertical. Et c »est la même ten- dance que l »on retrouve en général en dehors des politiciens au sein de l »intelligentsia guadeloupéenne, cette satisfaction gratuite que crée chez nous le maintien de la tutelle. Là où éclate la mauvaise foi évi- dente de ceux qui ont pris le parti de faire de la chose publique un moyen de vivre, c »est qu »il sont conscients que les contradictions ethno-histo- riques qui consacrent la différence entre la Guadeloupe et la France sont irréductibles : ce qui est bon pour le peuple français ne l »est pas forcément pour le peuple guade- loupéen ; ceci, sans pour autant remettre en cause notre attache- ment a la France. Mais, ils persistent à enfoncer davantage notre peuple dans l »illusion, et eux-mêmes dans l »aberration en faisant du droit com- munautaire européen la justifica- tion de leur positionnement.

Il est un autre aspect de la situation actuelle qui suscite interrogation. Il s »agit d »un phénomène de civilisa- tion qui nous honore, mais qui n »a a ucun impact à notre sens sur le développement de la conscience n ationale ; ainsi que l »atteste la conjoncture socio-politique actuel- l e : la promotion de la langue créole dont ce n »est plus un lieu commun d »invoquer la légitimité et la réhabi- litation du gwo-ka qui s »effectuent au bénéfice du colonisateur ne nous permettent pas d’être affranchis malgré tout des entraves de la dépendance, quelque fierté que nous puissions e n tirer ; parce que enfermés dans un dilemme : guadeloupéen, fran- ç ais, européen (pli nou palé kréyòl é chanté gwo-ka, pli nou ka vin é wopéyen). En réalité nous évo- luions dans un cercle vicieux. Nous nous débattons dans un labyrinthe dont on a peine à entrevoir l »issue. Il est temps de prendre en main notre destin. Ne nous voilons pas la face. Notre salut ne dépendra ni des élus qui se complaisent dans la continuité, encore moins de l »Etat colonial, mais de la société civile, de nous- m êmes. C »est le peuple guadelou- péen lui-même lorsqu »il s »aperce- v ra de s’être trompé, qu »il a été le jouet, l »instrument des ambitieux, e t surtout notre jeunesse pourvu qu »elle puisse se prévaloir d »un encadrement idéologique de la part des aînés, qui pourront inflé- chir le mode de gouvernance actuel, et se débarrasser d »une Guadeloupe défigurée, dont la mondialisation capitaliste et le néo-colonialisme sont la cause essentielle du marasme, du mal- être qui ronge notre société.

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